Mi Muñequita - Cabaret électrique

D'après Sophocle et Gabriel Calderon
Université Sorbonne Nouvelle

Date : Jeudi 3 décembre 2015
Horaires : 20h30 - 21h40
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h10
Discipline : Farce musicale

Mi Muñequita - Cabaret électrique

© Jeanne Gravillet

  • Mise en scène : Sarah Calcine
  • Interprétation : Romain Blanchard, Marion Bordessoules, Clotilde Maurin, Coralie Russier, Arthur Viadieu, Louis Zampa
  • Dramaturgie : Baptiste Vanhée
  • Assistant : Louise Mutabazi
  • Scénographie : Claire Chassot
  • Costumes : Cécile Box

Je rêve.

Je rêve d'une folle histoire d'amour entre un mythe, un texte et une jeune troupe.

Je rêve d'une farce drôle et terrible, cruelle et haletante. Je rêve d'Almodovar, de Dario Fo, de David Bowie, de Festen, de Michael Jackson et de David Lynch.

Je rêve de cette femme qui prend seule la parole (ou presque) pour hurler la tragédie avec passion et malgré tout la perpétuer.

Je rêve d'un conte où une fille est aliénée dans son rôle de lolita par sa famille et où la barbarie est quotidienne. D'un théâtre contemporain uruguayen qui nous raconte avec humour la famille comme miroir terrible de notre monde détraqué.

Je rêve aussi de 343 salauds orphelins, et de baby dolls vengeresses.

Je rêve d'incantations, de carnation et de loups.

Je rêve surtout de parler d'intime pour parler de politique.

Nous rêvons d'Électre.

Cette femme qui tente de parler, coûte que coûte. De chanter aussi, pour son dernier public. Ou peut-être est-ce une fille de 16 ans dans une famille détraquée ? Une mère au bord de la crise de nerf, un père impuissant, un oncle vengeur, une poupée maléfique. Le tout orchestré par un majordome déjanté.

Raconter Électre aujourd'hui, c'est chercher la portée de cette voix qui ne se taira jamais, qui défend la vie en s'attachant à la mort, celle de son père, passée, et celle de sa mère, imminente. C'est aussi se demander qui est Oreste. Et s'il n'était qu'une petite poupée ?

Alors, replaçons le mythe à l'endroit de notre culture populaire contemporaine et ludique. Et que ça swingue ! Racontons comment nous nous faisons tout petits devant une poupée, comment nous nous créons avec nos mythes personnels, nos icônes pop, ces étoiles inaccessibles, fantasmées ou réelles, à atteindre ou à anéantir.

Présentation de Sarah Calcine, metteuse en scène

Après une formation en danse contemporaine, elle intègre le Conservatoire d’Art Dramatique de Montpellier en 2007 avec Yves Ferry, Moni Grego et Stefan Delon. En 2012 à Avignon, elle joue Ikuko dans L’Arbre des Tropiques de Mishima mis en scène par Benoît Weiler. En juin 2014, elle a joué au Théâtre 13 dans une adaptation des Vagues d'après Virginia Woolf mise en scène par Joséphine de Surmont.

Elle suit également des stages professionnels, en 2012 avec Adel Hakim et Gabriel Calderon au Théâtre des Quartiers d’Ivry, « Le théâtre, critique du social », ou encore en 2014 autour de la performance avec Laurent Berger au CDN de Montpellier « Discours, religion, fantasmes ».

Parallèlement elle affine son intérêt pour la mise en scène en assistant Pauline Ribat dans Depuis l'aube pour la journée d'élimination des violences faites aux femmes à l'auditorium de Seynod en 2013 et Youri Tchao pour le court-métrage La révolution n'est pas un dîner de gala (la FEMIS).

Passionnée par le théâtre du Rio de la Plata, elle écrit actuellement un mémoire sur l'intime et le politique dans la compagnie uruguayenne Complot, dirigée par Alexandra Moreira da Silva. Elle a joué dans Strangers à Buenos Aires, avec Guillermo Angelleli en 2012. En septembre 2014, elle était artiste invitée et chercheuse à l'Institut National d'Arts Scéniques (INAE) de Montevideo pour une résidence de recherche avec le dramaturge et metteur en scène Sergio Blanco : Autofiction, se dire en scène…

Présentation de la compagnie

La première création de « La Divine Compagnie », Les Vagues, L’Aurore, a été finaliste du Prix/Théâtre 13 Jeunes Metteurs en Scène 2014 Mis en scène par Joséphine De Surmont, c'est une adaptation du roman de Virginia Woolf.

« La Divine Compagnie » est une compagnie de théâtre en sommeil depuis une dizaine d’années à laquelle nous avons souhaité redonner une seconde vie. Cela faisait sens de reprendre une compagnie existante plutôt que d’en créer une nouvelle. Cette démarche est en phase avec ma vision personnelle du théâtre, où tout se transforme et rien ne disparaît. Au théâtre, cela développe l’imaginaire pour l’acteur comme pour le spectateur, qui se retrouve embarqué dans un univers imprévisible, où rien n’est impossible.

Telles les créations de Victoria Chaplin où le costume devient vivant, à la frontière de l’humain et de l’animal, sans cesser pour autant d’être un objet. Voici le comédien transformé en une créature féérique directement issue de nos légendes ancestrales ou de nos contes d’enfant. Pour l’acteur, ce concept le pousse à travailler avec la matière qui l’entoure et à considérer qu’elle n’est jamais chose morte mais bel et bien vivante et fertile.

Le théâtre que défend « La Divine Compagnie » est un théâtre d’artisan, par opposition aux perversités d’une époque ultra consumériste où tout se jette et se remplace. Un théâtre qui a toujours sa raison d’être, car il vient de l’enfance, de cette époque magique qui reste enfouie, intacte, à l’intérieur de chacun de nous.

« Sinon l’enfance, qu’il y avait-il alors, qu’il n’y a plus » disait St John Perse…

Entretien avec Sarah Calcine, metteuse en scène du spectacle Mi Muñequita, cabaret électrique, mené par Gaëlle Vizy, étudiante en Master 1 Humanités et Industries créatives à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Comment avez-vous connu la pièce de Gabriel Calderón ?

Sarah Calcine : J’ai suivi un stage au théâtre des Quartiers d’Ivry organisé par Adel Akim avec Gabriel Calderón. Je ne connaissais pas du tout le théâtre uruguayen à ce moment-là. Nous avons lu cinq pièces de Gabriel Calderón le premier jour, dont Mi Muñequita. La pièce m’a tout de suite plu. C’est une pièce de jeunesse, sa première pièce, et du coup cela me parlait pour une première mise en scène.

Qu’est-ce qui vous a particulièrement intéressée dans cette pièce ?

S.C. : L’année dernière, je suis allée trois fois en Argentine et en Uruguay. Lorsque je suis revenue la deuxième fois en France, j’ai commencé à m’intéresser au mythe d’Électre. En fait, ça fait longtemps qu’Électre me trotte dans la tête. J’ai relu le mythe d’Électre et Mi Muñequita en parallèle. Lors de mon troisième voyage en Uruguay, j’ai passé du temps avec la compagnie de Gabriel Calderón. C’est à ce moment que je me suis dit qu’il serait intéressant d’adapter Mi Muñequita parce que c’est une transcription d’écriture de plateau, un canevas d’improvisation. Ce qui m’intéresse dans le théâtre uruguayen c’est son côté à la fois populaire et politique. Et la façon qu’ont ces pièces de retranscrire dans la pièce la folie, le plaisir qu’il y a sur le plateau. Mi Muñequita a un côté très rock.

Quelles sont les spécificités du théâtre uruguayen ?

S.C. : L’Uruguay est sortie de la dictature en 1985. Le théâtre politique, qui pour nous en Europe, est représenté par le théâtre brechtien est beaucoup plus récent pour eux. C’est un théâtre militant qui, pendant la dictature où la censure tournait à plein régime, devait trouver des moyens de la contourner. En sortant de la dictature, il a fallu réinventer des formes de théâtre politique. Certains metteurs en scène, notamment de la génération des années 1990, l’ont complètement rejeté. Ils voulaient faire du théâtre poétique et inventer de nouvelles formes théâtrales dans des espaces non conventionnels. La génération de Gabriel Calderón, au contraire, revient vers le théâtre politique, mais dans un théâtre qui ne serait pas, et c’est ce qui m’intéresse, un théâtre doté d’un message directement militant ou d’un lien direct avec l’actualité. J’ai rédigé un mémoire sur l’intime et le politique dans le théâtre uruguayen. Lorsque l’on parle de l’intime, de la famille, des relations entre les personnages, des relations avec le public, on traite aussi de politique. Pour moi, c’est un théâtre du plaisir, de la fête. Dans la joie, on peut trouver une forme de réinvention du vivre ensemble.

Quelle a été votre approche personnelle de la pièce ?

S.C. : Mon approche, très personnelle, est de lier Mi Muñequita au mythe et plus particulièrement au mythe d’Électre. J’y ai vu une réécriture d’Électre alors que pour Gabriel Calderón, il n’en était rien, en tout cas il n’en avait pas conscience.

Par ailleurs, j’ai cherché à retranscrire quelque chose qui me semble spécifique au théâtre uruguayen et argentin, qui est d’assumer totalement le théâtre populaire, la culture populaire mainstream. Dans les pièces argentines de Spregelburd, on identifie une influence des telenovelas. Dans le théâtre de Gabriel Calderón, on retrouve souvent de la musique pop dans les mises en scène. Moi, je suis une enfant des années 1980, du mainstream et de MTV, et du coup, toute cette réflexion autour des icônes pop me touche : ces étoiles inaccessibles, ces mythes personnels et contemporains nous accompagnent dans notre construction depuis bien longtemps. Les deux aspects, antique et contemporain, se conjuguent en fait : je me suis intéressée aux mythes gréco-romains depuis petite et ma mise en scène est aussi une manière de transposer les icônes pop dans le mythe.

Quelle est la part d’improvisation dans votre mise en scène ?

S.C. : Dans le résultat final, il n’y a plus beaucoup d’improvisation. Au départ, les acteurs, pour la plupart, n’ont pas lu la pièce de Gabriel Calderón. Il n’y en avait que deux qui avaient lu les textes avant le début de la création. En janvier dernier, je leurs avais à tous envoyé un e-mail avec une note d’intention, des fragments de texte et de la musique. On s’est retrouvés pour un petit déjeuner, où nous avons lu tous les fragments de texte. En laboratoire, on est parti d’improvisations, d’un travail sur les loups, et nous avons travaillé des exercices de théâtre physique et anthropologique que j’avais faits à Buenos Aires. Petit à petit, avec le dramaturge nous avons injecté quelques scènes de la pièce de Gabriel Calderón, mais sans jamais en faire lire l’intégralité. J’ai mis du temps à leur donner leur rôle, ce qui fait qu’ils étaient toujours en improvisation et ce jusqu’à très récemment. Seuls quelques textes sont fixes, comme ceux du père et une partie de ceux du majordome. Comme on travaillait en improvisation, c’est le majordome – le marionnettiste de la pièce –, qui en répétition, était garant de la fable. On travaillait des tableaux, un peu comme un puzzle donc à chaque fois, ils devaient être prêts à toute possibilité. Depuis mi-juillet, on a fixé un canevas final mais dans l’idéal, j’aimerais que la pièce change tous les soirs. Ils sont de plus en plus virtuoses et maîtrisent leur partition, je crois qu’ils seraient capables de bouger les choses. Dès qu’ils me proposaient de nouvelles idées au cours des filages, du moment qu’ils étaient centrés sur leurs partitions, c’était toujours juste.

Dans quelle mesure retrouvons-nous le mythe d’Électre dans la pièce ?

S.C. : La mère tue le père, Clytemnestre a tué Agamemnon parce qu’Agamemnon l’a trahie en partant à la guerre de Troie et elle a décidé de former un couple avec l’oncle d’Électre, qui prend le trône. La pièce constitue un peu le mythe d’Électre inversé. Électre n’a qu’une seule idée en tête, qu’Oreste revienne pour venger leur père et tuer leur mère. La poupée et le Majordome sont des déclinaisons d’Oreste et aident la Fille à hurler la vérité, puisque tout l’enjeu de la Fille et d’Électre est qu’on les entende. C’est en cela que la parole de cette femme est très politique. Il ne s’agit pas forcément de justice puisqu’au final Électre est du côté des meurtriers en étant complice du meurtre de sa mère, mais il s’agit de montrer la vérité, de dire de la poésie pour montrer la vérité.

Quel est le rôle de la poupée ?

S.C. : Dans le texte, c’est une poupée maléfique. C’est comme si c’était l’amie imaginaire, le petit diable. Dans la pièce de Gabriel Calderón, la poupée ne parle que quand elle est seule avec la Fille. Les autres personnages n’ont qu’une idée en tête, celle de détruire la poupée. C’est un peu comme dans Théorème de Pasolini, il y a un élément perturbateur qui vient tout chambouler : la présence de cet être extérieur est à la fois fascinante et destructrice pour la famille. D’autant plus que c’est l’Oncle qui l’a introduite dans la famille. Dans la pièce, dès que la Fille se retrouve seule avec la poupée, tout ce qu’elle dit, c’est qu’il faut qu’elle tue sa mère. Concernant le Majordome, dans une scène, il y a un passage de relais où l’on comprend que le Majordome devient la main de la Fille. Juste après, intervient la mort de la Mère. Dans le texte, Gabriel Calderón écrit dans les didascalies : « le Majordome, sur ordre de la Fille, tue la Mère ». Pour moi, cela renvoie clairement à Électre et Oreste.

Quel est le rapport de la pièce au monde de l’enfance ?

S.C. : Cela rejoint ce que je disais sur le rapport au populaire et sur ce que l’on pourrait appeler mes influences. J’ai toujours dit aux acteurs de jouer comme des enfants à la vie et à la mort. Les enfants, lorsqu’ils jouent au gendarme et au voleur, vivent ce moment comme une réalité, bien qu’ils aient conscience du jeu. Cela m’intéresse beaucoup pour la direction d’acteurs. J’ai retrouvé ce travail de direction d’acteur chez Roberto Suarez, un metteur en scène uruguayen. Il joue sur cette limite. Les acteurs se donnent complètement, vont très loin dans leur jeu, mais ils ne se font jamais mal parce qu’ils ont une conscience, un peu schizophrénique, qu’ils sont tout de même en train de jouer. Ce qui permet de faire des choses un peu folles. De manière plus concrète, on est partis du jeu pendant la période du laboratoire et encore maintenant, les échauffements restent des jeux. Pour moi, toutes ces étapes doivent mettre en œuvre un plaisir un peu enfantin.

Quel est le rapport à la mère ?

S.C. : C’est à la fois un rapport de fascination et un désir de destruction. La Mère est complètement hystérique. Elle oblige sa fille à bien parler, à bien se tenir. Elle veut qu’elle soit une vraie femme, à seize ans. Dans le texte de Calderón, il est dit que la Fille a seize ans mais qu’elle est restée bloquée à l’âge de 6 ans. Lorsqu’elle s’adresse à sa mère, elle chante, elle est complètement incohérente. Elle ne parle pas bien, elle parle comme une enfant de six ans. Et en même temps, elle en joue. Par exemple, lorsque sa mère lui retire la poupée, elle peut parler très clairement. C’est cette ambiguïté-là qui m’intéresse, que ce soit à la fois une femme et une enfant enfermée dans son rôle et qui en même temps en a conscience. Pour moi, il n’y a pas de méchant dans la pièce, même pas l’Oncle. L’Oncle et la Mère sont aussi des victimes. Donc il y a là une relation de rivalité entre la Mère et la Fille, mais il y a aussi quelque chose de plus complexe et de sous-jacent. C’est le cas entre Électre et Clytemnestre. C’est aussi une relation de femme à femme, de victime à victime et de bourreau à bourreau. La ligne de force est la question de la domination, c’est pour cela qu’on a beaucoup travaillé sur le tango et sur les loups. Ce qui m’intéresse, ce sont les rapports de force au niveau intime, social et politique, savoir à quel moment qui domine qui, à quel moment ces forces s’inversent, et poser la question de savoir si elles peuvent s’inverser : face à la domination, quelles stratégies de résistance puis-je utiliser pour sortir du rapport de force ?

Comment se manifestent ces stratégies de résistance pour les personnages ?

S.C. : Pour la Fille, Électre, cela s’exprime par le fait d’être sur scène et de dire cette vérité à travers des poèmes ou des chansons. Pour la Mère, c’est par le meurtre. Le Père, lui, est emprisonné dans sa passivité et dans son impuissance face à sa situation et face au monde dans lequel il vit. En même temps, en étant impuissant, il est complètement actif dans le fait de laisser se produire l’irréparable, c’est-à-dire la relation entre l’Oncle et la Fille. L’Oncle en réalité est aussi une victime, ce n’est pas du tout le méchant pour moi : il se fait rejeter par la Mère et se retrouve dans le rôle du violeur. Il n’a pas vraiment réussi à mettre en place un système de résistance.

Pourquoi avoir choisi la forme du cabaret alors que le propos est si tragique ?

S.C. : Selon moi, le meilleur moyen de parler de la tragédie est d’en rire. Gabriel Calderón nous disait qu’il était d’autant plus facile d’attaquer le public par le rire. L’histoire de Mi Muñequita est beaucoup trop horrible pour la traiter d’une manière dramatique. C’est à travers les icônes pop que s’est formé le travail sur le cabaret. Dans le processus de travail, chaque acteur s’est construit un personnage autour d’une icône qu’il a choisie. Chacun propose son numéro, son show, d’où la forme du cabaret. Mon rêve, un jour, serait de monter une comédie musicale.

Comment interviennent le chant et la danse dans la pièce ?

S.C. : Dans la pièce écrite et dans la mise en scène de Gabriel Calderón, on retrouve deux chansons et une chorégraphie. J’ai décidé d’en rajouter un peu plus par rapport à l’original. Pour ce qui est de la musique, elle représente les goûts de la troupe. Le chant et la danse ont été travaillés comme des fragments, comme toutes les parties de la pièce, de manière égale. Chaque tableau, chaque pièce du puzzle ont été travaillés séparément. D’un point de vue dramaturgique, nous avons travaillé en amont, et pendant les répétitions nous avons toujours gardé ce fil rouge en tête. Pour moi, la musique et la chorégraphie ne sont pas du tout de l’illustration, ce sont des scènes en elles-mêmes.

Comment définiriez-vous l’icône pop et comment intervient-elle sur scène ?

S.C. : C’est un artiste, doté d’une aura particulière, qui est la plupart du temps un produit de la société du spectacle. Et qui, de son vivant ou après sa mort, bénéficie d’une notoriété proche de celle du demi-dieu, construite par les médias. C’est Freddy Mercury, Elvis Presley, Marylin Monroe, David Bowie ou encore Mickael Jackson. Dans la mise en scène, on retrouve ces icônes pop dans les costumes et dans la direction d’acteur. Le spectateur ne va pas les identifier clairement sur scène. Ce sont des compagnons de jeu. Deleuze, dans Qu’est-ce que la philosophie ?, écrit que le philosophe est toujours accompagné par une sorte de voix imaginaire, qu’il a, comme Socrate, besoin d’un interlocuteur. Les icônes pop ont fonctionné de cette manière pour nous : il s’agit un travail dans la création des personnages, mais qui n’est pas censé être perceptible sur scène en tant que tel.

Pourquoi avoir intégré ce type d’icône dans la pièce ?

S.C. : L’icône pop est un être créé de toutes pièces. C’est une forme de contrôle et un symptôme. Amy Winehouse par exemple : un mythe est en train de se créer autour d’elle. Elle a été détruite par le système dominant, les producteurs de musique, ce que j’appelle le mainstream. C’est à la fois une icône, une figure de domination et une victime de ce système. Ce qui m’intéresse ce sont les failles des icônes pop, la raison qui fait qu’elles ont été dominées par tous ces systèmes de société du spectacle et le système de surveillance généralisée que celle-ci met en place. Cette surveillance généralisée, créée par le pouvoir, lui permet d’asseoir son contrôle. L’icône pop en est aussi victime. Le désir qu’elle suscite tient à la fois de la fascination et du désir de destruction. Nous avons travaillé en vidéo sur les réactions, sur les cris des fans pendant un spectacle. Ce sont à la fois des cris de jouissance et des cris d’horreur. Je suis moi même fascinée par la fascination pour ces icônes pop.

Quel est le lien entre icône pop et mythe antique?

S.C. : Dans mon mémoire, j’ai travaillé sur les mythes dans le théâtre uruguayen et j’ai donc lu les Mythologies de Barthes. Avec le dramaturge, nous avons travaillé sur ces dieux anthropomorphisés des mythes antiques. Ils sont à la fois responsables et marionnettistes de l’histoire, et en fin de compte victimes à chaque fois des passions des uns et des autres. Le mythe est producteur d’histoire. De même qu’Œdipe est producteur d’histoire, Marylin Monroe, on le voit bien depuis 40 ans est productrice d’histoire, de réinvention, de réécriture. Au théâtre, travailler autour de la figure de Marylin Monroe est devenu un classique. D’ailleurs, quand j’ai commencé à travailler sur le mythe, je me suis rendue compte que c’était très actuel.

Comment avez vous imaginé l’espace scénique ?

S.C. : Nous avons travaillé tout de suite avec une scénographe pour la création de l’espace scénique. Elle a, dès le début, fait des propositions d’accessoires pour commencer le laboratoire. On a pensé l’espace intime de la famille, le podium, et elle a rapidement proposé d’utiliser du polystyrène qui permet de moduler l’espace comme dans un petit cabaret où les artistes sont responsables d’eux-mêmes, de leurs numéros, de leurs mobiliers, de leurs décors. Et en même temps il y avait cet aspect léger et la possibilité de faire des écrans avec le polystyrène. On a réfléchi à différents éléments de nourriture dont des œufs, des œufs rebondissants, des œufs maracas. Le thème de l’œuf traverse toute la scénographie. J’avais envoyé aux comédiens de nombreux textes sur le rapport mère-fille et notamment sur la grossesse ou l’enfantement. L’œuf, c’est la matrice, la gestation, c’est la poule et l’œuf ou encore les testicules. La nourriture, c’est l’accessoire de la mère, très inspirée des films d’Almodovar, et qui parle tout le temps de cuisine. Pour moi, le sexe et la nourriture sont les deux choses qui lient le plus l’intime et le politique.

Comment sont délimités les trois espaces de la pièce ?

S.C. : Les espaces sont délimités par des cercles lumineux. Le cabaret, au centre. Dans cet espace sacré, on fait la lumière sur un numéro précis. Cela tient à la fois du cabaret mais aussi de l’arène ou du cirque. Cela rejoint l’idée de l’œuf, de la matrice. On a trois espaces de lecture. C’est à la fois cette troupe d’acteur qui vient faire ces numéros de cabaret, ces personnages de la fable de Mi Muñequita et les figures du mythe. Il y a trois possibilités de regard pour le spectateur : celui qui est au centre dans la lumière, puis les périphéries, et enfin la pénombre. Tous ce qui est de l’ordre des acteurs se passe dans la périphérie, et la figure du mythe plane en permanence dans la pénombre.

Quelle est la place du public dans la pièce ?

S.C. : J’ai souvent ouvert les répétitions au public. On a fait un travail en direction d’acteur sur le clown et sur le rapport direct au public. Le majordome se déplace dans le public, et d’autres personnages sortent de scène. Il y a un rapport d’adresse directe, des regards qui n’appellent pas une réponse. Le public est un invité un peu indiscret et un témoin de cette tragédie.