À la carabine

De Pauline Peyrade
par le Collectif La castagne
Conservatoire Erik Satie, Paris

Date : Jeudi 23 novembre 2023
Horaires : 20h - 21h10
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h10
Discipline : Théâtre

À la carabine

Christophe Cormie & Léa Gazeau

Texte : Pauline Peyrade
Avec : Louise-Ann Casset, Pasiphaé le Bras et Henri Sage
Assistante mise en scène : Pasiphaé le Bras
Création lumière : Rudy Sanguino

La violence, c’est connu : les hommes, ils naissent avec. Les femmes, on leur fracasse le crâne, les os avec. Jusqu’à ce qu’elles ne puissent plus bouger. Qu’elles se taisent. Et si la réponse n’était pas la peur mais la violence ?

Le droit à la violence irraisonnée. Le même que les hommes s’octroient depuis toujours. À la carabine, ce sont les mots d’une femme dont les souvenirs refont surface, souvenirs qui vont l’aider à confronter son violeur. Sans détour, sans politesse, sans douceur et sans compromis.

« Parce qu’à la violence extrême, ne répond pas l’espoir, compréhension. » Pauline Peyrade

Entretien

Dans le cadre de la sélection du spectacle À la Carabine au Festival Nanterre sur Scène, nous avons rencontré Chloé HECKMANN, metteuse en scène et Pasiphaé LE BRAS, assistante à la mise en scène et comédienne, qui incarne la femme adulte. Cette pièce traite de l’agression sexuelle d’une enfant et plus tard, adulte, de sa confrontation avec l’agresseur. Nous avons pu questionner notamment la place centrale qui est donnée au personnage de la femme violente dans la pièce ou encore l’aspect politique du texte.

« Le seul sentiment dont le public est témoin sur scène, c’est la violence. » — Chloé Heckmann

Vous avez décidé de mettre en scène le texte À la Carabine de Pauline PEYRADE, l’histoire d’une jeune fille qui est agressée sexuellement par l’ami de son frère. Elle décide des années plus tard de le confronter à la même violence. Qu'est-ce qui vous a conduit à mettre en scène ce texte ?

Chloé : C’était un moment où je passais beaucoup d'auditions pour les conservatoires nationaux en tant que comédienne, avec Pasiphaé nous cherchions des personnages contrastés. Nous avions envie d’un personnage de femme monstrueuse. Nous en avions assez d’incarner des filles fragiles. Mis à part dans les pièces de Sénèque, nous ne trouvions pas.

C’est donc la violence de ce personnage qui vous a attirée dans le texte. Est-ce que vous diriez que le thème du viol est central dans cette histoire ?

Chloé : Non. Le plus important était de trouver un personnage monstrueux dont à aucun moment les actes de violence ne sont justifiés par des raisons telles que le dévouement à la famille. La violence gratuite est partout dans la pop culture chez les personnages masculins. En lisant cette pièce, je me suis dit « Là, on a cela, et c’est une femme ! ». Certes, nous avons de l’empathie pour la jeune fille, mais nous ne connaissons rien de plus sur elle que son agression. Le seul sentiment dont le public est témoin sur scène, c’est la violence. Il voit une femme qui brutalise un homme parce qu’elle a ses raisons. Le viol n’est donc pas tellement le thème principal. Les femmes qui se vengent à la suite d’actes de domination, d’humiliation, d’agression, de crimes sont très peu visibles.

Pasiphaé : Ce que je trouve intéressant aussi dans le texte, c’est que le violeur n’est pas du tout monstrueux. Il n'est pas représenté comme quelqu’un de bizarre ou de répugnant. C’est un garçon normal, et c’est important de le dire : les violences sexuelles sont perpétrées par des gens normaux, parce que c’est encore toléré dans la société.

Deux comédiennes partagent le même personnage mais à deux âges différents. Quelles dynamiques cette situation implique-t-elle sur scène ?

Chloé : La vision de Pauline PEYRADE à l’origine, c’est une narration très fluide avec deux comédiennes qui changent de rôle dans la pièce. C’est pour cette raison que les personnages n’ont pas de nom. C'est simplement deux femmes qui s'amusent à rejouer des violences et qui expérimentent à quel point c'est cathartique de mettre une arme dans la bouche de quelqu'un. C’est comme ce qu’on voit dans les gros blockbusters mais mis en scène avec des personnages masculins.

Dans ce texte où les deux figures féminines sont justement centrales, comment avez-vous travaillé la continuité entre les deux personnages, alors qu’elles représentent la même personne ?

Pasiphaé : Le parti pris, c'est de suivre l'histoire depuis le point de vue de la femme adulte, que j’incarne sur scène. Elle contemple son souvenir. Je me nourris en permanence du personnage de l’enfant. Pendant une heure, je ne parle pas énormément mais je suis toujours là pour l’écouter et me laisser traverser par ses scènes. Les lumières clarifient aussi la séparation entre nos scènes : la femme adulte reste toujours éclairée parce qu’on suit sa vision à elle, alors que les scènes de la fête foraine sont dans le noir pendant les prises de parole de la femme adulte.

Est-ce que vous avez l’impression de vous approprier un sentiment que vous vous êtes déjà interdit en tant que femme, lorsque vous jouez le rôle d’une femme aussi violente ?

Pasiphaé : C’est assez satisfaisant (rires), cependant jamais je ne ferais cela dans la réalité. Il m'arrive souvent de me sentir en colère et de ne pas savoir exprimer ma colère, de la contenir et de la ravaler. On ne nous apprend pas en tant que femmes à être en colère. Dans le théâtre, il y a assez peu de rôles de femme qui utilisent leur colère sans que ce soient des monstres ou que ce soit esthétisé. Soit elles ont une raison, soit elles sont sexy, ou bien leur ressentiment est lié à une question amoureuse. Dans À la Carabine, l’écriture est droite, sans lyrisme, et c’est ce qui me plaît.

Votre personnage, celui de la femme adulte, porte une jupe de crinoline et des bandes de boxe. Que représente cet assemblage de styles différents ?

Pasiphaé : Les bandes de boxe lui donnent de la puissance, et la crinoline lui garantit une certaine dignité. Cela crée une figure qu’on ne connaît pas.

Chloé : Oui, la crinoline lui donne un port incroyable sans qu’elle fasse grand-chose. Le texte a aussi cette simplicité. J’ai eu l’idée au conservatoire, car les jupes de crinoline y étaient utilisées comme costume d’époque. Elles prenaient la forme de cerceaux sous les robes des femmes au XVIe siècle pour les empêcher de courir. J’en ai fait un outil de réappropriation pour lui donner de la prestance sur scène. Ensuite, le haut et les bandes de boxe sont en lien avec la préparation sportive et physique. Je voulais garder cela, en rappel des entraînements. Ce sont des moments à part dans l’intrigue, entre souvenir et présent, où la femme adulte se prépare en vue d’une vengeance. Lier ces deux images donne une silhouette qui n’est ni sexualisée, ni masculinisée à outrance.

Pauline PEYRADE dit « Ce n’est pas une réparation. Ce n’est pas une résilience. » Est-ce que c’est une vengeance personnelle alors, car la justice n’a pas fait son devoir ?

Chloé : L’envie d’écrire À la Carabine part de son indignation à la lecture d’un fait divers : le viol d’une enfant de 11 ans classé sans suite car l’agresseur était quelqu’un de confiance, de « normal ». Il y a donc, de toute évidence, une dénonciation du traitement du viol dans notre société. Pauline PEYRADE a choisi d’explorer les réponses possibles face à une telle violence dans le cadre de l’intime, et non avec une intention revendicatrice. Elle imagine la violence d’une femme libre sur scène en réaction à ce qu’elle a vécu. Je ne pense pas que la justice soit le sujet principal.

Pasiphaé : Oui, l’idée n’est pas de prôner un certain modèle et de dire quelle réaction est juste ou ne l’est pas. C’est plutôt une expérience artistique : une possibilité. C’est le cœur du sujet, ce pourquoi nous avons monté cette pièce.

Pour terminer, quel message voudriez-vous faire passer auprès du public ?

Chloé : La violence des femmes existe. Il n'y a qu’à écouter le podcast Un podcast à soi sur Arte qui donne la parole à des femmes incarcérées qui sont invisibilisées dans la société, alors qu’elles représentent 1 % des détenues. Cette pièce cherche à les représenter dans la culture mainstream. Cela doit faire quelque chose aux femmes de voir ce spectacle : comme un goût de première fois. J’espère déclencher et transmettre cet émoi au public.

Cependant le public n’est pas exclusivement féminin. Les hommes aussi peuvent tirer profit de cette représentation ?

Chloé : Bien sûr, c’est sûrement une première pour eux également que de voir une femme torturer son agresseur sans hésiter. Je crois, tout bien considéré, que ce spectacle est constitué de représentations inédites, et cela peut donc profiter à tout le monde. La pièce brise le tabou de la pédocriminalité et presque de l’inceste. C’est l’ami de son frère qui l’agresse dans la pièce, il fait partie du cercle proche de la famille. Le texte libère trois voix très peu entendues au niveau social, sociétal ou culturel et je trouve cela révoltant. C’est d’abord l’ouverture de la parole d’une enfant qui a été violée et qui explique ce qu’elle ressent juste après le crime. Ce sont aussi les mots d’un violeur au moment où il commet son crime. C’est enfin, la parole d’une femme qui menace un homme et semble prête à le tuer…

Propos recueillis par Hannah CAILLAUD et Angèle FORGET, étudiantes en Master MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

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